Des livres et des anecdotes : Lyon et le Spiritisme (1857 – 1937)
C’est l’année internationale de la commémoration de la lutte contre l’esclavage afin de rappeler son abolition qui a eu lieu, un siècle avant, en 1904. Après quatre ans de travaux, le viaduc de Millau est ouvert à la circulation. Il est alors, avec un pilier culminant à 343 mètres et une chaussée à 270 mètres, le plus haut pont du monde. En novembre, c’est le début de la « révolution orange » en Ukraine. L’année se termine sur l’un des plus grands cataclysmes des temps modernes : le tsunami du 26 décembre 2004 qui ravage l’intégralité de l’océan indien tuant plus de 250 000 personnes.
Le spiritisme en 2004
Alors que Chico Xavier s’est désincarné deux ans plus tôt, le Brésil sort un timbre qui commémore les 150 ans de spiritisme au Brésil.
Après l’association des magistrats spirites fondée en 1999, l’association des médecins spirites fondée en 1995, l’association des psychologues spirites fondée en 2003 ou l’association des militaires spirites fondée en 1944, on assiste à la création, en 2004, de l’association des artistes spirites ainsi que l’association de pédagogie spirite pour les enseignants.
Le 4ème congrès spirite mondial est organisé à Paris, du 2 au 5 octobre 2004 afin de coïncider avec le bicentenaire de la naissance d’Allan Kardec, le 3 octobre 1804 à Lyon. Le thème central choisi, pour rendre hommage au codificateur de la doctrine spirite à l’occasion de cet anniversaire, est ” Allan Kardec, l’édificateur d’une nouvelle ère pour la régénération de l’humanité “.
L’exposition lyonnnaise
A Lyon, c’est à travers l’exposition “Lyon, cœur du spiritisme”, qui aura lieu d’octobre 2004 à janvier 2005 à la Bibliothèque de la Part Dieu, que la ville natale d’Allan Kardec rend enfin hommage à celui qui lui aura donné une certaine notoriété de par le monde et plus particulièrement au Brésil. Pour que l’hommage persiste aussi après l’exposition, un monument en forme de menhir est érigé à sa mémoire sur les quais du Rhône, dans le prolongement de la rue Sala, à l’emplacement de la maison où il naquit. Une plaque commémorative est également apposée sur le mur des bas ports.
La première partie de l’exposition présentait Allan Kardec, ses ouvrages, ses passages à Lyon et sa reconnaissance envers les nombreux spirites de sa ville natale ainsi que son rayonnement international, notamment au Brésil.
Une seconde partie retraçait l’histoire du mouvement spirite à Lyon avec les premiers groupes apparus vers 1860, la presse spirite, les œuvres sociales et les rapports du spiritisme avec ses contradicteurs (catholiques, scientifiques et occultistes), les autorités et la police.
Dans une dernière partie avaient été exposées les productions de médiums lyonnais de la fin du 19ème siècle (dessins médiumniques) ainsi que les photographies des expériences menées par Gustave Geley avec Eva Carrère.
Le centre spirite Lyonnais Allan Kardec de Lyon Bron, que fréquentait activement le jeune Mickaël Ponsardin, avait été mis à contribution pour apporter objets, témoignages ou explications permettant d’étayer cette exposition.
Mickaël Ponsardin
Le jeune Mickaël, passionné à la fois par sa ville et par le spiritisme, avait déjà débuté des recherches qui l’avaient amené à présenter un exposé sur Lyon et le spiritisme lors des festivités organisées pour les 10 ans du centre spirite de Lyon Bron. C’est ainsi que dans notre Bulletin n°14, de septembre 2003, on peut lire en introduction que « C’est au prix d’un travail de plusieurs années de recherche dans des ouvrages et bibliothèques spirites que Mickaël nous a résumé l’histoire de Lyon et du spiritisme. ». Dans le compte rendu de l’exposé qui suit, on retrouve les prémisses de l’ouvrage qui sortira l’année suivante.
Son ouvrage
L’ouvrage paraît effectivement en 2004, année du bicentenaire de la naissance d’Allan Kardec et donc de l’exposition consacrée au spiritisme à Lyon. La période analysée dans l’ouvrage prend pour base une période de 80 ans, comprise entre 1857 et 1937. Pourquoi ces années ?
– 1857 correspond à l’année de parution du Livre des Esprits, publié par Allan Kardec le 1er avril 1857, et marque donc une coupure nette entre la vulgaire « Danse des Tables », largement pratiquée alors, et ce qu’on allait appeler le Spiritisme, de caractère scientifique et philosophique.
– 1937 marque la fin de cette belle époque lyonnaise. Après le départ de l’orphelinat spirite puis les décès successifs d’Henri Sausse en 1928, d’Alphonse Bouvier en 1931 et de Georges Mélusson en 1932, la Fédération spirite lyonnaise n’a plus d’activité et végète. Quelques années plus tard, la seconde guerre mondiale assénera le coup de grâce à la Fédération.
– Et entre ces deux dates ?
L’activité spirite fut très intense à Lyon, comme l’atteste Allan Kardec qui, au cours de ses différents voyages dans sa ville natale déclara : ” La première chose qui m’a frappé, c’est le nombre d’adeptes ; je savais bien que Lyon en comptait beaucoup, mais j’étais loin de me douter que le nombre fût aussi considérable, car c’est par centaines qu’on les compte. Mais si Lyon s’y distingue par le nombre, il ne le fait pas moins par la qualité, ce qui vaut encore mieux. Partout je n’ai rencontré que des Spirites sincères, comprenant la doctrine sous son véritable point de vue (…) nulle part je n’ai vu qu’on s’occupât du Spiritisme par pure curiosité ; nulle part je n’ai vu qu’on se servît des communications pour des sujets futiles ; partout le but est grave, les intentions sérieuses. »
Au cours d’une réunion, à laquelle assistait Allan Kardec, un Esprit répondit : ” Lyon a été la ville des martyrs ; la foi y est vive ; elle fournira des apôtres au Spiritisme. Si Paris est la tête, Lyon sera le cœur. ”
On comprend alors pourquoi Léon Denis dira, comme indiqué en préface de l’ouvrage « Lyon est le rempart du Spiritisme ».
Ecoutons donc un passage :
Le deuxième voyage d’Allan Kardec à Lyon
L’année suivante, les spirites lyonnais invitent Allan Kardec à se rendre à nouveau à Lyon « parce que cette année le nombre des spirites a beaucoup augmenté, surtout dans les classes ouvrières ; ils veulent tous vous voir, vous entendre ; et quoiqu’ils sachent bien que ce sont les Esprits qui ont dicté vos ouvrages, ils sont désireux de voir l’homme que Dieu a choisi pour cette belle mission ; ils veulent vous dire combien ils sont heureux de vous lire, et vous faire juge du progrès moral qu’ils ont tiré de vos instructions, car ils s’efforcent d’être doux, patients et résignés dans leur misère, qui est très grande à Lyon, surtout dans la soie. »
Allan Kardec se rend de nouveau en septembre à Lyon :
« …bien que nous connaissions, par la correspondance, les progrès du spiritisme dans cette ville, le résultat a de beaucoup dépassé notre attente. (…) Ce n’est plus en effet par centaines que l’on y compte les spirites, comme il y a un an : c’est par milliers ; ou, pour mieux dire, on ne les compte plus, et l’on estime qu’en suivant les mêmes progressions, dans un ou deux ans ils seront plus de trente mille. Le spiritisme s’y est recruté dans toutes les classes, mais c’est surtout dans la classe ouvrière qu’il s’est propagé avec le plus de rapidité (…)
L’année passée il n’y avait qu’un seul centre de réunion, celui des Brotteaux, dirigé par M. Dijoud, chef d’atelier, et sa femme ; depuis il s’en est formé sur les différents points de la ville, à la Guillotière, à Perrache, à la Croix-Rousse, à Vaise, à Saint-Just, etc., sans compter un grand nombre de réunions particulières. A peine y avait-il en tout deux ou trois médiums assez novices ; aujourd’hui il y en a dans tous les groupes, et plusieurs sont de première force (…)
« C’est beaucoup sans doute que les adeptes se multiplient, mais ce qui vaut mieux encore que le nombre c’est la qualité. Eh bien ! nous déclarons hautement que nous n’avons nulle part vu de réunions spirites plus édifiantes que celles des ouvriers lyonnais, sous le rapport de l’ordre, du recueillement et de l’attention qu’ils apportent aux instructions de leurs guides spirituels ; il y a là des hommes, des vieillards, des femmes, des jeunes gens, des enfants même dont la tenue respectueuse et recueillie contraste avec leur âge ; jamais un seul n’a troublé un instant le silence de nos réunions souvent fort longues ; ils semblaient presque aussi avides que leurs parents de recueillir nos paroles. Ce n’est pas tout ; le nombre des métamorphoses morales est, chez les ouvriers, presque aussi grand que celui des adeptes : des habitudes vicieuses réformées, des passions calmées, des haines apaisées, des intérieurs devenus paisibles, en un mot les vertus les plus chrétiennes développées, et cela par la confiance désormais inébranlable que les communications Spirites leur donnent en l’avenir auquel ils ne croyaient pas. (…)
Allan Kardec visite le groupe de Saint-Just où les spirites lyonnais lui rendent hommage :
« Nous vous prions, notre cher maître, de plonger vos regards dans le fond de nos cœurs, afin que vous puissiez vous rendre compte des sympathies que nous avons pour vous. Nous sommes de pauvres travailleurs, sans artifices ; un épais rideau, dès notre enfance, a été étendu sur nous pour étouffer notre intelligence ; mais vous, cher maître, par la volonté du Tout-Puissant, vous déchirez le rideau. Ce rideau, qu’ils ont cru impénétrable, ne peut résister à votre digne courage. Oh ! oui, notre frère, vous avez pris la lourde pioche pour découvrir la semence du spiritisme que l’on avait enfermée dans un terrain de granit ; vous la semez aux quatre coins du globe, et jusque dans nos pauvres quartiers d’ignorants, qui commencent à savourer le pain de vie. (…)
« Merci, M. Allan Kardec ; merci mille fois, au nom du groupe de Saint-Just, d’être venu parmi nous, simples ouvriers, et encore bien imparfaits en spiritisme ; votre présence nous cause une grande joie au milieu de nos tribulations qui sont grandes dans ce moment de crise commerciale ; vous nous apportez le baume bienfaisant que l’on nomme espérance, qui calme les haines, et rallume dans le cœur de l’homme l’amour et la charité. Nous nous appliquerons, cher maître, à suivre vos bons conseils et ceux des Esprits supérieurs qui auront la bonté de nous aider et de nous instruire, afin de devenir tous de vrais et bons spirites. Cher maître, soyez assuré que vous emportez avec vous la sympathie de nos cœurs pour l’éternité ; nous le promettons ; nous sommes et nous serons toujours vos adeptes sincères et soumis. (…)
« Nous serions bien heureux aussi si vous vouliez trinquer avec nous. »
Allan Kardec répondra dans la Revue spirite :
« Nous venions de loin, et nous avions gravi les hauteurs de Saint-Just par une chaleur accablante. Quelques rafraîchissements avaient été préparés au milieu des instruments du travail : du pain, du fromage, quelques fruits, un verre de vin ; véritables agapes offertes avec la simplicité antique et un cœur sincère. Un verre de vin ! hélas ! à notre intention ; car ces braves gens n’en boivent pas tous les jours ; mais c’était fête pour eux : on allait parler du spiritisme. Oh ! c’est de grand cœur que nous avons trinqué avec eux, et leur modeste collation avait à nos yeux cent fois plus de prix que
les plus splendides repas. »
Le 19 septembre 1861, un banquet est à nouveau offert par les différents groupes spirites lyonnais en l’honneur d’Allan Kardec. Il y a cette fois cent soixante convives contre une trentaine l’année dernière. Allan Kardec constate alors que tous se considèrent comme les membres d’une même famille et qu’il n’existe pas l’ombre de jalousie et de rivalité entre eux. Allan Kardec prononce dans son discours :
« Puissent nos frères futurs se rappeler ce jour mémorable où les spirites lyonnais, donnant l’exemple de l’union et de la concorde, ont posé, dans ces nouvelles agapes, le premier jalon de l’alliance qui doit exister entre les spirites de tous les pays du monde. »