Des livres et des anecdotes : Léon Denis Intime
Nous sommes en 1929. L’année commence avec la naissance du pasteur américain Martin Luther King, le 15 janvier. Le 28 juillet, 48 nations signent la convention de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre. Le 24 octobre, la bourse de New York s’effondre en quelques heures, provoquant l’affolement des milieux financiers. C’est le jeudi noir de Wall Street qui marquera le Krach boursier de 1929.
Le spiritisme en France
Après des années d’apogée, le spiritisme en France, entame une période de déclin rapide qui s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, victime de son succès, il doit tout faire pour se distinguer des fraudeurs et imposteurs qui ne veulent que profiter de la popularité du mouvement et qui jettent le discrédit sur tous les spirites.
D’autre part, il doit faire face à des tensions avec d’autres mouvances spiritualistes proches, comme la théosophie d’Helena Blavatsky, l’antroposophie de Rudolf Steiner ou l’occultisme de Papus.
La psychanalyse et la psychiatrie s’intéressent aussi au psychisme et à ses manifestations à travers l’inconscient, la télépathie, l’hypnose, la transe… mais elles tendent parfois à faire passer pour de simples aliénés la plupart des médiums.
Parallèlement, le spiritisme souffre du départ des plus grands pionniers de l’époque. En peu de temps, se désincarnent successivement le docteur Gustave Geley en 1924, Camille Flammarion en 1925, Gabriel Delanne en 1926, Léon Denis en 1927, Henri Sausse en 1928. .
Claire Baumard
Claire Baumard, et sa sœur jumelle Gabrielle, sont nées en 1872 à Saint Cyr sur Loire. Claire a donc 46 ans lorsque, le 2 novembre 1918, à la fin de la première guerre mondiale, elle prend ses fonctions de secrétaire auprès de Léon Denis.
Elle remplace alors Camille Chaise, la secrétaire bénévole du temps de guerre, obligée de quitter Tours, mais qui avait veillé à ce qu’une personne de confiance puisse assurer la relève auprès du maître vieillissant. Selon Gaston Luce (l’auteur d’une biographie de Léon Denis intitulée Léon Denis, l’Apôtre du Spiritisme), Camille Chaise deviendra, par la suite, propriétaire d’un grand hôtel parisien où, lors du congrès spirite de septembre 1925, elle put accueillir le maître et, comme à son habitude, l’entourer de prévenances et d’attentions délicates, afin qu’il puisse, dans l’intervalle des travaux du Congrès, s’isoler à son aise et goûter la quiétude et le repos nécessaire.
Claire Baumard restera au service de Léon Denis jusqu’à ce qu’il meurt, en 1927. Elle-même ne se désincarnera que le 15 janvier 1961, après avoir tenté de communiquer tout ce qu’elle avait pu apprendre, ou plutôt comprendre, en pénétrant dans l’intimité de ce grand homme.
L’ouvrage
C’est deux ans après le départ de Léon Denis, en 1929, que Claire Baumard décide de nous faire partager le quotidien, autrement dit l’ordinaire, de cet homme extraordinaire. L’auteur nous emmène dans l’appartement de Léon Denis où on l’observe travailler, bien entendu, à l’écriture de ses merveilleux ouvrages et articles ou encore à la préparation de ses conférences. On le voit recevoir des visites ou répondre à son nombreux courrier, gérer les séances spirites qui avaient lieu chez lui, mais aussi plaisanter, se détendre, parler de son enfance, de l’actualité du moment ou de ses lectures favorites.
On découvre une force tranquille qui ne se contente pas de professer mais met réellement en pratique les qualités de dévouement, d’abnégation, de charité, de persévérance, de sérieux et d’humilité. Claire Baumard nous fait partager jusqu’aux derniers moments du maître qui, juste avant de partir, prend toutes ses dispositions pour terminer son dernier ouvrage, Le Génie Celtique.
Si Claire Baumard peut nous faire partager tous ces instants, nous faire vibrer avec elle tout au long de cet ouvrage, c’est parce qu’elle nous livre là, non pas une biographie qui relate une vie après enquête, mais bien un témoignage réel sur tout ce qui constitue l’intimité d’une personne, son univers, son quotidien, son vécu… et, lorsque cette personne est un modèle, un exemple, comme Léon Denis, on sent bien que, même ici sur Terre, on s’approche d’un maillon intermédiaire important entre nos frères spirituels supérieurs et nous.
Écoutons donc un passage
Malgré son grand âge, l’apôtre du spiritisme avait conservé un esprit vif, alerte et gardait une grande puissance de travail, son cerveau était en constante ignition. Il suppléait à toutes les difficultés qu’engendraient sa demi-cécité par sa prodigieuse mémoire, son esprit d’ordre et de méthode, et, jusqu’à sa maladie, seul il touchait à ses papiers. Sa collaboration s’étendait à plusieurs revues françaises et étrangères et, par surcroît, un travail auquel il apportait beaucoup de minutie lui était imposé chaque année ; celui de la révision de l’un ou l’autre de ses ouvrages en vue du tirage de nouvelles éditions. Les mettre au point exact d’actualité était sa grande préoccupation. La plupart du temps, l’écrivain dictait ses textes, mais parfois une lettre importante ou un article qui exigeait plus de soin que les autres l’obligeaient à fixer immédiatement sa pensée. Il se servait d’un crayon et de la grille de métal qui permet aux aveugles de ne pas faire chevaucher les lignes les unes sur les autres.
Parfois le maître recevait une lettre en écriture braille, c’était alors une joie pour lui de me taquiner en disant : «Ah ! Celle-là, vous ne la connaîtrez pas !» Mais la correspondante en braille n’avait pas une réponse par le même procédé, le maître le trouvait trop long et ne recourait au poinçon que pour ses comptes. Il préférait de beaucoup sa grille à l’aide de laquelle il écrivait rapidement, mais que de déboires ne lui occasionnait-elle pas ? Il me présenta un jour plusieurs pages à déchiffrer, pages sur lesquelles je ne vis rien !
– Comment, vous dites que c’est blanc !
– Mais oui, maître.
– Ce n’est pas possible !
– Mais si, et je vois ce qui est arrivé, vous avez écrit avec la pointe sèche du crayon. Pour la première fois je le vis désolé en constatant que le fruit de son labeur, le produit de sa pensée étaient perdus. Immédiatement, et tant bien que mal, il s’efforça de reconstituer son texte.
Je conserve un certain nombre de ces brouillons au crayon, que je me plais souvent à relire.