Des livres et des anecdotes : Le ciel et l’enfer
Nous sommes en 1865. Le 26 avril, aux Etats-Unis, la guerre civile prend fin et cinq mois plus tard, le président Abraham Lincoln sera assassiné. En France, Napoléon III dirige le pays et sa femme Eugénie devient régente de l’Algérie. Dans le vignoble, les vignerons français voient, avec horreur, le phylloxéra venu d’Amérique s’abattre sur leurs vignes pour ne plus en repartir.
Le spiritisme en France
Il s’étend. Des groupes et des sociétés se créent et se rajoutent à ceux qui existent déjà. Plusieurs journaux sont nés durant cette période : Le Sauveur du Peuple, la Lumière, la Voix d’outre-tombe à Bordeaux ; l’Avenir à Paris ; le Médium évangélique à Toulouse ; le Monde musical à Bruxelles. Les adversaires du spiritisme ne sont ni bons, ni justes. Ils s’emparent de l’affaire Davenport pour dénoncer les erreurs de la doctrine spirite. En effet, les Frères Davenport, deux médiums américains, ont donné une séance publique qui a tourné en music-hall. Quelqu’un a dévoilé la fraude et la salle a ri. Allan Kardec tient alors à préciser que la faculté médiumnique n’est pas absolue et que de véritables médiums peuvent la perdre quand un sentiment de lucre s’y mêle.
Allan Kardec
Pendant cette année, Allan Kardec publie le Ciel et l’Enfer. Comme d’habitude, il y dénonce tout ce qui est rétrograde dans la pensée des hommes comme la superstition pour offrir grâce au spiritisme, plus de liberté. Il s’érige contre la prétention de l’Eglise de faire habiter dans l’enfer les âmes à jamais damnées. Selon Allan Kardec, Jésus a parlé plutôt de purgatoire, puisque le pêcheur peut se racheter. Dieu est bon et juste.
Cette année, il ne voyage pas. Se sent-il fatigué ? Un an après, il tombera vraiment malade et les Esprits lui conseilleront de se ménager.
Ses ennemis
Depuis quelques temps, on s’acharne contre Kardec. Il met donc à disposition les comptes de caisse de la société spirite et écrit : « On a beaucoup parlé des produits que je retirais de mes ouvrages ; personne de sérieux assurément ne croit à mes millions, malgré l’affirmation de ceux qui disaient tenir de bonne source que j’avais un train princier, des équipages à quatre chevaux et que, chez moi, on ne marchait que sur des tapis d’Aubusson. Quoi qu’en ait dit, en outre, l’auteur d’une brochure que vous connaissez, et qui prouve, par des calculs hyperboliques, que mon budget des recettes dépasse la liste civile du plus puissant souverain de l’Europe, parce que, en France seulement, vingt millions de spirites sont mes tributaires, il est un fait plus authentique que ses calculs, c’est que je n’ai jamais rien demandé à personne, que personne ne m’a jamais rien donné pour moi personnellement ; en un mot, que je ne vis aux dépens de personne, puisque, sur les sommes qui m’ont été volontairement confiées dans l’intérêt du spiritisme, aucune parcelle n’en a été distraite à mon profit.
Je dirai d’abord que mes ouvrages n’étant pas ma propriété exclusive, je suis obligé de les acheter à mon éditeur et de les payer comme un libraire, à l’exception de la Revue ; que le bénéfice se trouve singulièrement diminué par les non-valeurs et les distributions gratuites faites dans l’intérêt de la doctrine, à des gens qui, sans cela, seraient obligés de s’en passer. Un calcul bien facile prouve que le prix de dix volumes perdus ou donnés, que je n’en dois pas moins payer, suffit pour absorber le bénéfice de cent volumes. Ceci soit dit à titre de renseignement et comme parenthèse. Somme toute et balance faite, il reste cependant quelque chose. Supposez le chiffre que vous voudrez ; qu’est-ce que j’en fais ? C’est là ce qui préoccupe le plus certaines gens.»
Son ouvrage
Il comprend deux parties : la doctrine et les exemples. Dans la première partie, une dizaine de chapitres traitent de la mort, du ciel et de l’enfer, du purgatoire, des peines éternelles, des anges et des démons, ainsi que du problème de l’évocation des morts.
La deuxième partie de l’ouvrage classe par catégories les innombrables exemples de survivance obtenus par le moyen de communications. Il y a les Esprits heureux ; les Esprits dans une situation moyenne ; les Esprits souffrants ; Les suicidés ; les criminels repentants ; les Esprits endurcis puis les expiations terrestres.
Tout cela suit la hiérarchie spirite de la perfection et de l’état moral de l’âme.
Écoutons donc un passage :
M. P. était un médecin de Moscou, aussi distingué par ses éminentes qualités morales que par son savoir. La personne qui l’a évoqué le connaissait de réputation seulement, et n’avait eu avec lui que des rapports indirects. La communication originale était en langue russe.
D. – Etes-vous ici ?
R. – Oui. Le jour de ma mort, je vous ai poursuivie de ma présence, mais vous avez résisté à toutes mes tentatives pour vous faire écrire. J’avais entendu vos paroles sur moi ; cela m’avait fait vous connaître, et alors j’ai eu le désir de m’entretenir avec vous pour vous être utile.
D. – Pourquoi, vous qui étiez si bon, avez-vous tant souffert ?
R. – C’était une bonté du Seigneur qui voulait par-là me faire doublement sentir le prix de ma délivrance, et me faire avancer le plus possible ici-bas.
D. – La pensée de la mort vous a-t-elle causé de la terreur ?
R. – Non, j’avais trop foi en Dieu pour cela.
D. – La séparation a-t-elle été douloureuse ?
R. – Non, ce que vous appelez le dernier moment n’est rien ; je n’ai ressenti qu’un craquement très court, et bientôt après je me suis trouvé tout heureux d’être débarrassé de ma misérable carcasse.
D. – Qu’est-il arrivé alors ?
R. J’ai eu le bonheur de voir une quantité d’amis venir à ma rencontre et me souhaiter la bienvenue, ceux notamment que j’ai eu la satisfaction d’aider.
D. – Quelle région habitez-vous ? Etes-vous dans une planète ?
R. – Tout ce qui n’est pas une planète est ce que vous nommez l’espace ; c’est là que je suis. Mais que de degrés dans cette immensité dont l’homme ne peut se faire une idée ! Que d’échelons à cette échelle de Jacob qui va de la terre au ciel, c’est-à-dire de l’avilissement de l’incarnation sur un monde inférieur comme le vôtre, jusqu’à l’épuration complète de l’âme ! Là où je suis, on n’arrive qu’à la suite de beaucoup d’épreuves, ce qui signifie de beaucoup d’incarnations.
D. – A ce compte vous devez avoir eu beaucoup d’existences ?
R. – Comment en pourrait-il être autrement ? Rien n’est exceptionnel dans l’ordre immuable établi par Dieu ; la récompense ne peut venir qu’après la victoire remportée dans la lutte ; et quand la récompense est grande, il faut nécessairement que la lutte l’ait été aussi. Mais la vie humaine est si courte que la lutte n’est réelle que par intervalles, et ces intervalles sont les différentes existences successives ; or, puisque je suis sur un des échelons déjà élevés, il est certain que j’ai atteint ce bonheur par une continuité de combats où Dieu a permis que je remportasse quelquefois la victoire.
D. – En quoi consiste votre bonheur ?
R. – Ceci est plus difficile à vous faire comprendre. Le bonheur dont je jouis est un contentement extrême de moi-même ; non de mes mérites, ce serait de l’orgueil, et l’orgueil est le fait des Esprits de réprobation, mais un contentement noyé, pour ainsi dire, dans l’amour de Dieu, dans la reconnaissance de sa bonté infinie ; c’est la joie profonde de voir le bon, le bien ; de se dire : peut-être ai-je contribué à l’amélioration de quelques-uns de ceux qui se sont élevés vers le Seigneur. On est comme identifié avec le bien-être ; c’est une espèce de fusion de l’Esprit et de la bonté divine. On a le don de voir les Esprits plus épurés, de les comprendre dans leurs missions, et de savoir qu’on en arrivera là aussi ; on entrevoit, dans l’incommensurable infini, les régions si resplendissantes du feu divin, qu’on est ébloui même en les contemplant à travers le voile qui les couvre encore. Mais que vous dis-je ? Comprenez-vous mes paroles ? Ce feu dont je parle, croyez-vous qu’il soit semblable au soleil, par exemple ? Non, non ; c’est quelque chose d’indicible à l’homme, parce que les mots n’expriment que les objets, les choses physiques ou métaphysiques dont il a connaissance par la mémoire ou l’intuition de son âme, tandis que, ne pouvant avoir cette mémoire de l’inconnu absolu, il n’est pas de termes qui puissent lui en donner la perception. Mais sachez-le : c’est déjà une immensité de bonheur de penser que l’on peut s’élever infiniment.
D. – Vous avez eu la bonté de me dire que vous voulez m’être utile, en quoi, je vous prie ?
R. – Je puis vous aider dans vos défaillances, vous soutenir dans vos faiblesses, vous consoler dans vos chagrins. Si votre foi, ébranlée par quelque secousse qui vous trouble, vient à chanceler, appelez-moi : Dieu me donnera des paroles pour vous le rappeler et vous ramener à lui ; si vous vous sentez prête à succomber sous le poids de penchants que vous reconnaissez vous-même être coupables, appelez-moi : je vous aiderai à porter votre croix, comme autrefois Jésus fut aidé à porter la sienne, celle qui devait nous proclamer si hautement la vérité, la charité ; si vous faiblissez sous le poids de vos chagrins, si le désespoir s’empare de vous, appelez-moi ; je viendrai vous tirer de cet abîme en vous parlant d’Esprit à Esprit, en vous rappelant aux devoirs qui vous sont imposés, non par des considérations sociales et matérielles, mais par l’amour que vous sentirez en moi, amour que Dieu a mis en mon être pour être transmis à ceux qu’il peut sauver.
Vous avez sur la terre des amis sans doute ; ceux-là partageaient peut-être vos douleurs, et peut-être vous ont déjà sauvée. Dans le chagrin, vous allez les trouver, vous allez leur porter vos plaintes et vos larmes, et ils vous donnent en échange de cette marque d’affection leurs conseils, leur appui, leurs caresses ; eh bien, ne pensez-vous pas qu’un ami d’ici soit aussi une bonne chose ? N’est-il pas consolant de se dire : quand je mourrai, mes amis de la terre seront à mon chevet, priant pour moi, et pleurant sur moi, mais mes amis de l’espace seront au seuil de la vie, et viendront en souriant me conduire à la place que j’aurai méritée par mes vertus.
D. – En quoi ai-je donc mérité la protection que vous voulez bien m’accorder ?
R. – Voici pourquoi je me suis attaché à vous dès le jour de ma mort. Je vous ai vue spirite, bon médium et sincère adepte ; parmi ceux que j’ai laissés en bas, je n’ai vu que vous d’abord ; j’ai alors résolu de venir contribuer à vous avancer, dans votre intérêt, sans doute, mais encore plus dans l’intérêt de tous ceux que vous êtes appelée à instruire dans la vérité. Vous le voyez, Dieu vous aime assez pour vous rendre missionnaire ; autour de vous, tous, petit à petit, partagent vos croyances ; les plus rebelles tout au moins vous écoutent, et un jour vous les verrez vous croire. Ne vous lassez pas ; marchez toujours malgré les pierres du chemin ; prenez-moi pour bâton de faiblesse.
D. – Je n’ose croire mériter une si grande faveur.
R. – Sans doute vous êtes loin de la perfection mais votre ardeur à répandre les saines doctrines, à soutenir la foi de ceux qui vous écoutent, à prêcher la charité, la bonté, la bienveillance, même quand on use de mauvais procédés envers vous, votre résistance à vos instants de colère que vous pourriez satisfaire si facilement contre ceux qui vous affligent ou méconnaissent vos intentions, viennent heureusement servir de contre-poids à ce que vous avez de mauvais en vous et sachez-le, c’est un puissant contre-poids que le pardon.
Dieu vous comble de ses grâces par la faculté qu’il vous donne et qu’il ne tient qu’à vous d’agrandir par vos efforts, afin de travailler efficacement au salut du prochain. Je vais vous quitter, mais comptez sur moi. Tâchez de modérer vos idées terrestres et de vivre plus souvent avec vos amis d’ici.
Livres d’Allan Kardec
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